La crise de la quarantaine, version travail

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Les 45 ans et plus sont plus nombreux sur le marché du travail qu’il y a 40 ans. Ils représentent 42 % des travailleurs contre 24 % en 1984.

La crise de la quarantaine ne touche pas que la vie personnelle. Les remises en question professionnelles seront déterminantes pour la fin de carrière et même la retraite, révèle le rapport de l’Institut du Québec Les enjeux cachés de la mi-carrière : Portrait des travailleuses et travailleurs québécois de 45 ans et plus, dévoilé ce mercredi.

Isabelle Dubé

Isabelle Dubé La Presse

Les carrières s’étirent

Si certains mouvements font miroiter la retraite à 45 ans, dans la réalité, c’est tout le contraire qui se produit. Les 45 ans et plus sont plus nombreux sur le marché du travail qu’il y a 40 ans. Ils représentent 42 % des travailleurs contre 24 % en 1984.

Les Québécois prennent leur retraite, en fait, plus tard. Depuis 1998, l’âge moyen de la retraite a progressivement augmenté jusqu’à 64,5 ans en 2024 et se rapproche maintenant de l’Ontario, qui a une moyenne de 65,1 ans.

Selon les données de Statistique Canada adaptées par l’Institut de la statistique du Québec, l’âge moyen de la retraite en 1978 était de 66 ans et a progressivement diminué jusqu’en 1998 pour atteindre 58,4 ans. Malgré les publicités marquantes du milieu des années 1980, la liberté 55 n’a jamais été pour la moyenne des Québécois. Depuis 1998, l’âge moyen est reparti dans l’autre direction.

Cette tendance à repousser la retraite s’explique par l’effet de décalage dans les parcours de vie, observe en entrevue avec La Presse Emna Braham, présidente-directrice générale de l’Institut du Québec (IDQ), qui axe ses études sur les enjeux socioéconomiques de la province.

« On étudie plus longtemps, on commence notre carrière plus tard, ce qui fait que tout est un peu retardé : les enfants, l’achat d’une maison, la fin du paiement de l’hypothèque et le moment où l’on a suffisamment économisé pour prendre sa retraite. »

« On est aussi de plus en plus nombreux à occuper des emplois de bonne qualité ou moins physiques, plus épanouissants, poursuit-elle. Ce qui fait qu’on a envie de rester sur le marché du travail. »

Ce décalage s’observe également chez les immigrants, notamment parce qu’ils ont dû redémarrer leur carrière en arrivant au Canada, souligne le rapport.

Les carrières sont moins linéaires qu’autrefois. Les personnes qui changent de carrière par choix dans la quarantaine ou dans la cinquantaine sont plus susceptibles de rester en emploi passé la soixantaine.

Un enjeu moins rose influence les Québécois à rester en emploi : l’endettement. Chez les 45-54 ans, plus de la moitié (55 %) ont encore un prêt hypothécaire à rembourser. En 2005, ils étaient 38 % dans ce groupe.

À l’inverse, la santé peut inciter les travailleurs à quitter leur emploi plus tôt que prévu, comme ce fut le cas pour 26 % des Québécois.

L’âgisme plus dangereux que l’IA

Les préjugés sur l’âge sont plus dangereux que les robots, conclut le rapport de l’IDQ.

« À partir de la quarantaine, les préjugés sur l’âge se jouent déjà. Et ce n’est pas le manque de compétences numériques des travailleurs de 45 ans et plus qui sont vraiment un frein à leur mobilité et aux perspectives de carrière, mais les perceptions des employeurs à ce sujet », analyse la coautrice du rapport Souleima El-Achkar, économiste principale à l’IDQ, en entrevue avec La Presse.

« Les sondages ont montré que les employeurs sont plus réticents à prendre des travailleurs plus âgés pour des postes qui ont un contenu technologique quelconque, poursuit-elle. Par contre, quand ils les prennent, ils réalisent qu’ils sont aussi compétents sinon plus que d’autres. Et surtout parce que les nouvelles technologies, par exemple avec l’IA, sont assez conviviales, et ne requièrent pas de codage. »

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les travailleurs de plus de 55 ans ne sont pas particulièrement menacés par l’automatisation et l’IA. C’est plutôt la génération Z qui l’est par le remplacement de certaines tâches, souvent des postes d’entrée en début de carrière.

« On a fait une analyse pour voir qui sont les travailleurs québécois vulnérables à l’automatisation et à l’intelligence artificielle, c’est-à-dire que non seulement leur emploi est à risque d’être automatisé, mais aussi qu’ils auraient de la difficulté à s’adapter », relate Emna Braham.

« Ce qu’on voit, c’est que les travailleurs de plus de 55 ans ne sont pas surreprésentés dans ce groupe-là, notamment parce qu’ils sont capables de se replacer. Ils ont un niveau d’expertise qui fait que lorsqu’une partie de leur tâche peut être remplacée par la machine, ils peuvent retomber sur leurs pattes. »

Les plus de 55 ans représentent 24 % des emplois à risque, une proportion équivalente à la population active, 23 %.

Si leur employeur leur offrait des formations après 50 ans, 44 % des travailleurs de ce groupe d’âge seraient prêts à prolonger leur carrière.

Le verre incassable

Les femmes sont plus présentes que jamais dans le marché du travail québécois. Alors qu’il y a 40 ans, seulement 34 % des femmes de 45 ans et plus étaient en emploi, elles composent désormais 46 % de la main-d’œuvre.

C’est la scolarité qui explique cette progression. À l’heure actuelle, le Québec a atteint la parité des diplômes universitaires : 25 % des Québécois comme des Québécoises ont décroché au moins un baccalauréat. En 1984, elles n’étaient que 4 %.

« Les travailleuses plus scolarisées restent actives plus longtemps : 60 % des femmes de 45 ans et plus détenant un diplôme d’études universitaires sont actives sur le marché du travail, contre 26 % pour celles qui détiennent au plus un diplôme d’études secondaires », indique le rapport.

Et ces femmes aspirent à plus.

« On a des cohortes de femmes dans la quarantaine, dans la cinquantaine, qui sont tout aussi scolarisées que les hommes, et qui, à cet âge-là, à la mi-carrière, ou à la fin de carrière, aspirent à obtenir de hauts postes de direction », observe Emna Braham.

« Mais ce n’est pas encore le cas, malgré ces gains en éducation, malgré le fait qu’on est arrivé à égalité, on voit que les femmes représentent 46 % de la main-d’œuvre, mais elles ne vont occuper que 34 % des postes de direction, tous secteurs confondus.

« Ça peut laisser un goût amer de ne pas atteindre les postes qu’on espérait atteindre à ce moment de notre carrière. Ça interpelle aussi les générations suivantes. Est-ce qu’elles vont être capables de percer ce plafond ? », demande la PDG de l’IDQ.

Les femmes de 45 ans et plus sont encore coincées entre leurs aspirations professionnelles, leurs adolescents et leurs parents vieillissants de qui elles doivent s’occuper.

Pour de nombreuses femmes moins scolarisées, la fin de carrière peut s’avérer difficile. Après 55 ans, 32 % des travailleuses se retrouvent dans des emplois de faible qualité rémunérés au salaire minimum, contre 23 % des travailleurs du même âge.

Des solutions chez les employeurs et gouvernements

Avec ce rapport, l’IDQ, le Comité consultatif pour les travailleuses et travailleurs âgés de 45 ans et plus (CC45+) et le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale souhaitaient mieux comprendre les défis professionnels des 45 ans et plus, car l’économie québécoise a besoin de cette main-d’œuvre qualifiée.

Certaines mesures de politiques publiques donnent un coup de pouce, comme l’exemption de la cotisation de la RRQ pour les travailleurs âgés de 65 à 72 ans, qui a été mise en place en 2024. Cependant, le crédit d’impôt pour prolongation de carrière, dont l’âge d’admissibilité passe de 60 à 65 ans cette année, n’a pas créé une augmentation significative du nombre de travailleurs dans la soixantaine.

Le rapport souligne que beaucoup de Québécois comprennent mal l’impact de l’impôt quand un travailleur prolonge sa carrière ou quand un retraité veut retourner travailler.

« La démystification de la fiscalité semble essentielle pour promouvoir efficacement la prolongation de la vie active au Québec », recommandent les chercheurs.

Les employeurs aussi ont un rôle à jouer. Le travailleur sénior ne doit pas être laissé sur le banc des joueurs, ignoré, sans défi, sans mandat, à attendre péniblement l’heure de sa retraite comme l’illustre si bien l’un des personnages de la série Avant le crash.

« On a beaucoup parlé de la nécessité d’allonger les carrières au cours des dernières années au Québec, parce qu’il y a des pénuries de main-d’œuvre et plus de départs à la retraite. Mais on se rend compte que c’est un questionnement multidimensionnel, analyse Emna Braham.

« Il y a la fiscalité, la santé, les finances, mais il faut aussi regarder tout le parcours de carrière qu’on a tout au long de la vie. C’est ça qui va déterminer à quel point on est engagé, puis à quel point on a envie de poursuivre notre carrière un peu plus longtemps. »

L’engagement des Québécois en fin de carrière repose sur des besoins concrets : des projets stimulants, de la formation continue et la reconnaissance de leur valeur au sein des organisations, conclut la chercheuse.

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